J’ai découvert Omar Khayyâm il y a longtemps, dans un endroit sordide, où on a rien d’autre à foutre que de lire… la prison de Namur. J’y avais trouvé l’excellent livre d’Amin Maalouf « Samarcande« , qui relate ses voyages et fait l’éloge de ses Rubayat. J’ai toujours aimé son côté provocateur, buveur impénitent, fornicateur, impie, à une époque où cela valait le pal au bas mot.
Voilà un poète qui me parle, moi qui n’aime pas la poésie. Pour une raison qui m’échappe, la poésie n’a pratiquement aucun effet sur moi, alors que d’autre, en lisant 3 lignes de Baudelaire sont carrément en lévitation, moi je frise le coma. Mais curieusement, Omar Khayyâm a changé la donne. Cet homme, amoureux des plaisirs de la vie, courtisait les femmes, aimait leur parfum, leurs courbes, et le faisait savoir dans ses poèmes. Le vin aussi était sa grande faiblesse. Ce vin qui décroche notre conscience et libère notre esprit. Frondeur aussi, pour ses critiques dures concernant la religion, et les religieux bigots. Raison pour laquelle sans doute, ses poèmes furent interdits pendant longtemps.
Un heureux hasard vient de me faire retomber dessus via un ami, je ne peux m’empêcher de vous en faire partager un modeste passage…
Rubayat, par Omar Khayyâm, quatrains I à XX
I
Tout le monde sait que je n’ai jamais murmuré la moindre prière.
Tout le monde sait aussi que je n’ai jamais essayé de dissimuler mes défauts.
J’ignore s’il existe une Justice et une Miséricorde…
Cependant, j’ai confiance, car j’ai toujours été sincère.
II
Que vaut-il mieux? S’asseoir dans une taverne, puis faire son examen de conscience,
Ou se prosterner dans une mosquée, l’âme close?
Je ne me préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître
Et ce qu’il fera de moi, le cas échéant.
III
Considère avec indulgence les hommes qui s’enivrent.
Dis-toi que tu as d’autres défauts. Si tu veux connaître la paix,
La sérénité, penche-toi sur les déshérités de la vie,
Sur les humbles qui gémissent dans l’infortune, et tu te trouveras heureux.
IV
Fais en sorte que ton prochain n’ait pas à souffrir de ta sagesse.
Domine-toi toujours. Ne t’abandonne jamais à la colère.
Si tu veux t’acheminer vers la paix définitive,
Souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.
V
Puisque tu ignores ce que te réserve demain,
Efforce-toi d’être heureux aujourd’hui.
Prends une urne de vin, va t’asseoir au clair de lune,
Et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.
VI
Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois,
Mais, qui s’en délecte chaque jour ?
Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin est ciselée
Une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de savourer.
VII
Notre trésor ? Le vin. Notre palais ? La taverne.
Nos compagnes fidèles ? La soif et l’ivresse.
Nous ignorons l’inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos coeurs, nos coupes
Et nos robes maculées n’ont rien à craindre de la poussière, de l’eau et du feu.
VIII
En ce monde, contente-toi d’avoir peu d’amis.
Ne cherche pas à rendre durable la sympathie que tu peux éprouver pour quelqu’un.
Avant de prendre la main d’un homme,
Demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour.
IX
Autrefois, ce vase était un pauvre amant
Qui gémissait de l’indifférence d’une femme.
L’anse, au col du vase…
Son bras qui entourait le cou de la bien aimée !
X
Qu’il est vil, ce cœur qui ne sait pas aimer,
Qui ne peut s’enivrer d’amour !
Si tu n’aimes pas, comment peux-tu apprécier
L’aveuglante lumière du soleil et la douce clarté de la lune ?
■ ■ ■
XI
Toute ma jeunesse refleurit aujourd’hui !
Du vin! Du vin! Que ses flammes m’embrasent !
… Du vin! N’importe lequel… Je ne suis pas difficile.
Le meilleur, croyez bien, je le trouverai amer, comme la vie!
XII
Tu sais que tu n’as aucun pouvoir sur ta destinée.
Pourquoi l’incertitude du lendemain te cause-t-elle de l’anxiété ?
Si tu es un sage, profite du moment actuel.
L’avenir? Que t’apportera-t-il ?
XIII
Voici la saison ineffable, la saison de l’espérance,
La saison où les âmes impatientes de s’épanouir recherchent les solitudes parfumées.
Chaque fleur, est-ce la main blanche de Moïse ?
Chaque brise, est-ce l’haleine de Jésus ?
XIV
Il ne marche pas fermement sur la Route,
L’homme qui n’a pas cueilli le fruit de la Vérité.
S’il a pu le ravir à l’arbre de la Science, il sait que les jours écoulés
Et les jours à venir ne diffèrent en rien du premier jour décevant de la Création.
XV
Au delà de la Terre, au delà de l’Infini,
Je cherchais à voir le Ciel et l’Enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
« Le Ciel et l’Enfer sont en toi. »
XVI
Rien ne m’intéresse plus. Lève-toi, pour me verser du vin !
Ce soir, ta bouche est la plus belle rose de l’univers…
Du vin! Qu’il soit vermeil comme tes joues,
Et que mes remords soient aussi légers que tes boucles !
XVII
La brise du printemps rafraîchit le visage des roses.
Dans l’ombre bleue du jardin, elle caresse aussi le visage de ma bien aimée.
Malgré le bonheur que nous avons eu, j’oublie notre passé.
La douceur d’Aujourd’hui est si impérieuse !
XVIII
Longtemps encore, chercherai-je à combler de pierres l’Océan ?
Je n’ai que mépris pour les libertins et les dévots.
Khayyâm, qui peut affirmer que tu iras au Ciel ou dans l’Enfer ? D’abord, qu’entendons-nous par ces mots ?
Connais-tu un voyageur qui ait visité ces contrées singulières ?
XIX
Buveur, urne immense, j’ignore qui t’a façonné ! Je sais, seulement,
Que tu es capable de contenir trois mesures de vin, et que la Mort te brisera, un jour.
Alors, je me demanderai plus longtemps pourquoi tu as été créé,
Pourquoi tu as été heureux et pourquoi tu n’es que poussière.
XX
Aussi rapides que l’eau du fleuve ou le vent du désert,
Nos jours s’enfuient.
Deux jours, cependant, me laissent indifférent :
Celui qui est parti hier et celui qui arrivera demain
■ ■ ■
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